Carnet / Nominations

Philippe Sahuc (PG 83) : le sociologue décalé
Partager sur :
Vue 467 fois
26 mars 2024
Philippe SAHUC Ingénieur Paris Grignon (1983)

Portrait - L’agro décalé : entre Sciences, Art et Liberté


Philippe Sahuc (PG 83) est un homme dont le parcours atypique reflète une quête incessante de connaissances, de rencontres, de liberté et d'expression artistique. Diplômé de l'Institut National Agronomique Paris-Grignon (INAPG) en 1987, son cheminement depuis ses études jusqu'à son rôle actuel d'enseignant-chercheur et de sociologue décalé témoigne d'une vie riche en expériences et en engagements.

 

Les Fondations : De l'Écologie Politique à la sociologie

Depuis qu’il a entendu René Dumont, pionnier de l’écologie politique, lors des élections présidentielles de 1974, il n’a qu’une idée en tête : intégrer l’INA-PG. Il a déjà le sentiment que la préservation du vivant va être au cœur des préoccupations dans les années à venir, ce qui va guider ses choix tout au long de son parcours.

Après trois ans de prépa, il découvre avec émerveillement, en septembre 1983, le site de Grignon dont il profite à plein, tout en s’échappant à Paris pour des sorties culturelles. Il se souvient de belles rencontres lors de sa deuxième année, à la Cité universitaire internationale, au pavillon de l’Agronomie et d’expériences scéniques…

Cette opportunité de brassage culturel a suscité chez lui une vive envie de franchir les frontières. De fait, il saisit l’occasion de partir en année sabbatique – peu répandue à l’époque on la nomme aujourd’hui « année de césure » – comme deux autres membres de sa promo (sur 200). Il part au Sénégal oriental pour participer à un programme de recherche sur les associations villageoises des pays du Sud, en lien avec le ministère des Relations extérieures. Sa mission ? A la façon d’un ethnologue, il part, pour 14 mois d’immersion avec un vélo, un sac de riz, un paquet de thé et de sucre par mois, pour partager et essayer de rendre compte de ce qui se passe dans des associations de femmes, de jeunes, de villageois... Cette expérience inoubliable l’a profondément marqué. Après avoir appris le mandinka, été rebaptisé par la communauté locale « Baabudu Diaby », il développe une autre sensibilité avec un sentiment de double identité ; il avoue que son retour en troisième année ne s’est pas fait sans difficulté…

On aurait pu s’attendre à ce que Philippe se spécialise en DEVE dans la continuité de René Dumont- déjà en retraite à l’époque – il n’en est rien. Il privilégie le brassage culturel et la volonté de faire dialoguer plusieurs approches scientifiques. Ainsi, il effectue sa dernière année aux côtés de Jean-Pierre Prod’homme (professeur de sociologie) et Patrick Blandin (professeur émérite du Muséum d’Histoire Naturelle) qui articulent un programme en rapport avec la commission française pour l’UNESCO et le Muséum d’Histoire Naturelle. Cette année en itinérance (un lieu par trimestre) dans un contexte multiculturel (les trois-quarts des élèves de ce programme viennent de l’étranger) a su assouvir sa soif de découverte, bien qu’il sorte de l’Agro, moins clairement « étiqueté » qu’avec une « spécialité maison »...

 

Les Passages : De l'Engagement Environnemental à l'Exploration Artistique

Après son diplôme, il occupe le poste de secrétaire technique d’un réseau sur la thématique des groupements, associations villageoises et paysannes, faisant écho au thème de son année de césure. Quand le moment du service militaire arrive, Philippe marqué par un parent mort à la guerre de 14, fait le choix de devenir objecteur de conscience. Dès juin 1988, il est implanté dans les Pyrénées auprès d’une association de protection de l’environnement ; sa fibre écolo continue ainsi d’être cultivée. On le laisse libre de vivre des expériences et des rencontres en Montagne - avec des bergers, des maraîchers, des éleveurs dont il garde la ferme en leur absence…- pour proposer des pistes d’activité, notamment pour des jeunes, respectueuses de l’environnement... Parallèlement, son violon ne l’ayant jamais quitté, il intègre un orchestre de bals, s’initie à l’art du conte et en collecte, anime des groupes d’enfants…

L’objection de conscience s’arrête en juin 1990 et pour poursuivre son aventure pyrénéenne, il devient facteur contractuel, se lançant dans une thèse de sociologie sur le rôle social de ce métier en zone rurale isolée, en relation avec la chaire de sociologie rurale à l’Agro. Ces expériences diverses lui ont permis de développer une vision complexe et nuancée du monde qui l'entoure, lui valant une rupture avec la direction de La Poste, qui envisage surtout un développement de ses services bancaires, via le facteur. Deux choses comptent dans sa vie à cette époque : l’étude et la recherche pour comprendre l’animation et l’organisation des services publics dans les territoires ruraux mais aussi l’art : conte, théâtre, musique... Il décide de faire de ses passions une double activité professionnelle, en créant une entreprise unipersonnelle. Pendant 4 ans, il vit de contrats de conteur et de chargé d’étude ponctuel, engagé de temps en temps par des préfectures, des parcs régionaux, le service Mairie-conseils…

 

Les Convergences : De l'Enseignement- Recherche à la Performance Scénique

Si l’activité lui plait, il ne peut pas pour autant en vivre très longtemps. Il se présente alors à un concours de recrutement à la chaire de sociologie rurale à l’agro à Paris. Il devient enseignant-chercheur, Maitre de Conférence, à Paris pendant trois ans, puis après un autre concours, à l’Ecole Nationale Supérieure de Formation de l’Enseignement Agricole (ENFA devenue ENSFEA) à Toulouse, poste qu’il occupe toujours aujourd’hui dans une unité de recherche centrée sur les sciences de l’éducation et de la formation. Les recherches de Philippe se concentrent notamment sur les associations entre art et science, manière pour lui d’allier connaître et ressentir.

Parallèlement ses activités artistiques évoluent. De conteur, il devient jongleur de langues. Il veut s’affranchir de la linéarité des récits et joue sur la sonorité, sur l’insolite, souvent avec des musiciens en impro. Il brasse différents arts de la scène : le clown, le conteur, la poésie sonore, le théâtre. Depuis deux ans, il peut enfin allier ses deux passions – l’art et la science - en exerçant à temps partiel l’enseignement-recherche et en devenant « Le sociologue décalé ». Grâce à son entrainement à observer et à être attentif autant au verbal qu’au non-verbal, il propose de restituer par une performance scénique improvisée ce qu’il a capté d’un colloque, congrès... Accompagné de son fidèle compagnon, un balai qu’il a choisi pour sa valeur symbolique (tenu brosse vers le haut – quitte à être décalé autant l’être jusqu’au bout des poils !), il rend compte de manière sensible de ses observations et réflexions, en mobilisant parfois des concepts sociologiques, parfois des langues et des sons ou encore des images, pour stimuler la perception et la réflexion du public d’un jour, pour l’amener à faire « un pas de côté », à penser « out of the box ».

 

À travers son parcours professionnel et son engagement artistique, Philippe Sahuc incarne une philosophie de vie fondée sur la liberté, la curiosité et la créativité. Son histoire inspire à repousser les frontières de ce qui est possible, à défier les conventions et à embrasser la complexité du monde qui nous entoure. En tant qu'enseignant-chercheur et sociologue décalé, il continue de nous inviter à réfléchir différemment et à envisager de nouvelles perspectives, à ne pas avoir peur de faire un pas de côté, hors des sentiers battus.

 

Ce portrait a été rédigé par Gaël Leray, Responsable Communication et Animation de réseau @AgroParisTech Alumni



Aucun commentaire

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.

Proposer une annonce